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Mon UT4M

Il y a des moments qui sont impossibles à capturer, à retranscrire, à partager. Surtout quand tu as cassé ton téléphone dans les premiers kilomètres…

Tout d’abord, la tension sur la ligne de départ, la peur d’avoir oublié quelque chose, la libération après toutes ces semaines à se préparer, les derniers jours à attendre. Pas facile de montrer tout ça en images, impossible de montrer l’accueil chaleureux, les gens que l’on connaît virtuellement, que l’on découvre enfin en vrai, les attentions, les encouragements.

Et puis c’est le départ et les premiers kilomètres dans Grenoble, les premières montées vers le Vercors et les premières grosses chaleurs. Impossible de montrer en images cette chaleur qui, dès 9 h, nous fait tous transpirer à grosses gouttes, de voir la vitesse à laquelle tout le groupe est parti, de sentir le soleil qui va nous cuire toute la journée. J’arrive un peu avant 10h au CP de Moucherotte, sans idée de ma position dans le groupe et sans avoir rattrapé mes 3 amis espagnols que j’ai croisés au départ. Boire, toutes les 5 minutes et se forcer à manger un peu. Beaucoup de fruits au début, orange, pomme et un peu de banane, mais je le paierai plus tard.

Le sentier est parfait et je suis vite grisé par la vitesse que je prends pour descendre sur Villars. Toujours en plein soleil et je sais que cela va durer. Les coureurs sont comme concentrés, on ne discute pas beaucoup, on craint tous cette chaleur qui peut vite nous mettre à terre définitivement, alors on boit. À Villars, j’ai déjà bu presque 2 litres, je recharge en eau et en fruit et je repars vers cette descente qui nous mène vers Saint-Paul-de-Varces. Sans appareil photo, pas possible de vous montrer les lacets de ce sentier technique et un peu cassant, les cailloux qui roulent sous les pieds, la terre desséchée qui colle à la peau. Saint-Paul-de-Varces et sa fontaine, je plonge complètement la tete, mouille la casquette, bois goulument. Je sais ce qui nous attend pour avoir fait une partie du parcours tout seul 2 mois auparavant, il n’y a pas de points d’eau avant Vif alors j’en profite.

Une petite montée tranquille où l’on aperçoit le mont-Aiguille au loin et une petite descente vers Vif, il est déjà 14h30, il fait environ 30 degrés et je vais pouvoir faire une pause à l’ombre. J’ai toujours du mal à manger autre chose que des fruits ou des choses plus consistantes. Je ne traine pas trop et file vers cette montée qui ne m’avait pas spécialement marqué pendant ma reco. Je suis à l’ombre, la pente est assez régulière, une rivière coule le long du chemin et amène de la fraîcheur. Je rattrape Fer, un des 3 Espagnols que j’ai rencontrés il y a 1 an sur la transalpine Run. On discute un peu, il m’explique que les 2 autres sont devant, qu’il a mal à une jambe, qu’il souffre de la chaleur, malgré cela, on prend un bon rythme. Et puis coupure… Plus de son, plus d’image comme dirait Quentin. Je fais une bonne hypoglycémie. Mon cœur s’emballe un peu trop pour l’effort que je fournis, les jambes molles et mon sac deviennent très lourd d’un coup. C’est assez rare pour moi mais logique car je n’ai mangé que des fruits et cela fait déjà plus de 7h que je suis sous le soleil à courir. Je laisse Fer partir devant et je suis obligé de poser le sac et d’engloutir un gel et surtout un bon vieux berlingot de lait concentré sucré que ma fille Léonie avait glissé dans mon sac. Je repars doucement en sachant que j’arrive bientôt en haut de la montée et qu’il ne me reste qu’une petite descente pour atteindre le CP de Laffrey.

Si j’avais eu mon appareil photo, j’aurais fait une image de ma retrouvaille avec Fer à Laffrey et avec sa copine. On se présente, mi en espagnol, mi en anglais et Fer ne va pas mieux mais me dit d’avancer qu’il essaiera de me rattraper dans la montée; malgré la jambe douloureuse, il est plus rapide que moi en montée. Je pars vers la partie la plus roulante du parcours entre Laffrey et La Morte, 10 km ou je sais que je peux courir à l’ombre. Juste avant la descente sur La Morte, je retrouve les Alex et Alejandro qui souffrent beaucoup de la chaleur. Fer nous rejoint aussi, le groupe est au complet mais pas pour longtemps. Au CP de La Morte, je prends le temps de bien m’alimenter et de recharger une fois de plus ma poche à eau. Je vois les premières défaillances et les premiers abandons, notamment mes copains espagnols qui préfèrent s’arrêter ici, victimes entre autres de la forte chaleur et, je pense, d’une baisse de moral. J’essaie de pas trop trainer, je sais qu’il y a une grosse « bosse » que je n’ai pas repérée : plus de 1000m de D+ devant moi pour arriver au pas de la Vache.

C’est dans ces moments que je regrette de ne pas avoir pu faire des images, le soleil qui descend sur le Vercors, le mont Aiguille, l’Obiou, le Grand Serre et toutes les autres que je ne connais pas encore. La montée était franche et assez violente mais arrivé en haut, la fatigue est oubliée, je profite de cette vue incroyable et pars dans la descente avec les derniers rayons de soleil. Un passage au lac du Poursollet où l’ambiance est réchauffée grâce à une « potion secrète » et beaucoup d’encouragements, je continue vers la prochaine difficulté; la descente vers Riouperoux, il fait nuit noire, la fraicheur est tombée et les jambes commencent à tirer.

Je reste une heure au ravitaillement de Riouperoux : petite douche glacée, massages, repas chaud, changement de fringues et je repars comme neuf pour la longue montée vers la croix de Chamrousse. Pendant ma reco j’avais mis 3h30 et je mets finalement 3h10 ce jour-là. Ma lampe fait briller la rosée tombée sur les végétaux, le ciel est magnifique, je sais pourquoi je fais ce style de course, je suis seul avec la montagne et j’en profite. Arrivé en haut, le CP est bien calme : certains dorment ou somnolent, d’autres mangent. Je ne m’attarde pas trop et profite pour repartir avec un petit groupe. Je me prends pas mal les pieds dans le tapis comme on dit, à force de regarder le paysage, le soleil se lève sur le massif de Belledonne, la journée va être belle et chaude. Et longue.
Petite pause au refuge du Pra accueilli par des bénévoles toujours chaleureux, qui nous encouragent, nous portent et réconfortent. La prochaine difficulté est une montée dans un pierrier, la montée du grand Colon et la descente vers Pruney. Je me rappelle du coup de bambou que j’avais eu lors de ma reco dans cette montée, alors je prends patience, marche à mon rythme, me laisse distancer par 2 ou 3 personnes et je finis par arriver en haut. Je découvre Grenoble à mes pieds, je sais que ma famille m’y attend mais avant je dois passer par le massif de la Chartreuse.

La longue partie plate vers le CP de SaiNt-Nazaire les Eymes est très ensoleillée à cette heure, l’organisation a eu la bonne idée de rajouter un point d’eau en bas de la descente, je me mouille abondamment la tête et je reprends la route vers le dernier gros CP ou m’attend mon 2e sac d’allégement. Pas facile de garder un rythme sur le plat mais j’aime plutôt cet effort même si j’ai l’impression que les derniers kilomètres n’en finissent pas, je rage, je grogne et plus j’oublie tout quand je suis accueilli par les bénévoles aux petits soins. Je mange un plat de pâtes, me rafraichis, me change et pars en direction du col de la Feita. Pour y arriver, je cours du mieux que je peux en plein soleil, il est déjà 13h et la journée est prévue plus chaude qu’hier… La montée du col de la Feita n’est pas la plus difficile ou la plus longue mais peut-être la plus monotone, j’observe la cîme des arbres et crois voir la fin mais il y a toujours un lacet de plus. Je suis à l’ombre de la forêt et j’avance avec un peu de musique dans les oreilles pour faire passer le temps. Arrivé en haut je sais que l’Haber de Chamechaude n’est plus très loin, que le terrain permet de courir un peu et que la fin est proche. Enfin je crois.

Depuis le matin, je m’étais mis en tête de passer la ligne d’arrivée vers 19 ou 20 h, sans connaître la dernière partie du parcours puisque pendant ma reco, 2 mois plus tôt, j’avais dû stopper au habert de Chamechaude et bifurquer vers Grenoble au plus court. J’arrive donc au habert vers 16h plein d’enthousiasme et prêt à en finir. Je suis entouré par 15 bénévoles qui me préparent un bon café, me remplissent ma poche à eau et me racontent ce qui m’attend. Et là, grosse déception, un bénévole qui connaît bien le parcours, brise mes espoirs de diner avec ma petite famille : « là tu as encore une belle montée en plein soleil et après tu descends pour remonter puis redescendre vers le Col de Vence, après un long faux plat… Bref tu en as pour au moins 6 heures mais plus certainement 8h ! » Dur à avaler mais ce n’est pas ça qui va me casser le moral ! Chamechaude n’est pas si difficile que ça, et puis je sais que c’est l’une des dernières descentes alors les jambes sont légères ou presque. Je rejoins Mathieu et Romain (dossard 35 et 71) avec qui je discute et le temps passe beaucoup plus vite, mon état de fatigue me rend hilare et la dernière montée se fait dans la détente et les rires. La descente vers le Col de Vence me fait moins rire et Mathieu et Romain sont plus frais alors « FONCEZ ! on se retrouve sur la ligne d’arrivée ! » Je descends à mon rythme, je n’ai pas envie de forcer, je ne suis plus à 5 minutes près. Je passe le col de Vence rapidement mais je m’alimente tout de même car il reste un long faux plat et j’aimerais le courir le plus possible. Ce n’est pas le moment d’avoir un coup de barre, encore un café et je repars au plus vite.

La nuit tombe et les derniers kilomètres sont très longs, Grenoble joue à cache cache dans le bois, je traverse la Bastille sans faire le touriste, je fonce dans la descente interminable et enfin je vais plonger dans les rues de la ville.
-« Yann Gobert ??
– ben oui ! Putain elle était interminable celle-là !! c’est qui ?
– C’est Eric, je te suis depuis 2 jours. »

Je retrouve Éric qui vit à Grenoble et que j’ai rencontré par EIDER, nous avions parlé de la course quelques mois plus tôt. Il m’a suivi sur internet et attendu jusqu’à cette heure tardive. Éric m’encourage et m’ouvre le chemin en vélo. Les rues sont animées, les gens sont gais et chaleureux, on m’offre un Carambar, ont m’applaudit, je force l’allure, j’ai l’impression de voler. En sortant d’une rue je croise Nicolas et Julia, deux amis installés depuis peu à Grenoble, ils me diront plus tard qu’ils avaient guetté une bonne partie de la soirée mon arrivée. Éric, mon poisson pilote, me dit que je suis presque arrivé et je vois déjà mes filles, ma femme qui viennent à ma rencontre en courant. Nico, un de mes meilleurs amis est là aussi, encore une bonne surprise. Mes filles lancent le sprint final et l’on passe tous la ligne d’arrivée en un peu moins de 38 heures.

Élise et Valérie de l’organisation viennent me féliciter, Luca Papi, 3e au scratch est là aussi, il discute et félicite tous les arrivants. Il me raconte sa course et m’avoue avoir souffert aussi et on embraye déjà sur les projets, les futures courses. J’essaie de parler à tous mes amis, en même temps, j’ai tellement de choses à raconter et eux aussi, il s’en est passé des trucs pendant 38 heures ! Pas facile de faire une phrase cohérente alors j’écoute et je les regarde tous. Je n’ai pas d’appareil photo mais je veux garder ce moment en mémoire. Et même si j’en avais un, il serait impossible de décrire toute la joie que j’ai de tous les retrouver ce soir là.

Un énorme MERCI à Élise, Valérie et Seb de l’organisation, à tous les bénévoles sur les CP, les routes, les chemins et les cols, qui m’ont soutenu et accueilli comme un ami. À Nicolas et Julia pour avoir aidé ma petite famille en galère de voiture, Éric, l’homme de l’ombre, Nico, Marie et Samuel pour l’énorme surprise et enfin à Sophie, Rose et Léonie pour m’avoir soutenu pendant les 38 heures de la course et tous les jours de l’année.

photos : © UT4M, Laure Bouchard, Benoit Audige, Nacho Grez.

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5 comments

  1. Un récit magnifique pour une superbe expérience. Merci de nous permettre de la partager

    1. merci beaucoup !

  2. Récit magnifique moi je me suis arrêter au lac du poursollet, mais je le finirais l’année prochaine

  3. Superbes photos !

  4. Félicitations, superbe récit, ça donne envie d’y participer.
    Je vais étudier ça pour 2017

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