En août 2019, je suis parti sur le GR30 avec mon ami Stéphane, un matin vers 9 h, un peu trop tard, sous un soleil un peu trop chaud, avec un peu trop de chose dans mon sac à dos. J’avais envie d’aller le plus loin possible sur cette boucle de 200 km, que j’avais découverte en fouillant la carte de France des chemins de Grande randonnée. J’étais peu préparé, car blessé pendant quelques mois au ménisque, mais j’avais envie de retrouver ces sensations que je connais que pendant les ultra-trails, de solitude, de dépassement, courir de nuit, voir le soleil se lever et sentir la fatigue m’envahir. Mais au bout de 12 heures, j’ai compris que je ne pourrai pas terminer le tour complet : la chaleur, le manque de préparation et trop peu de point d’eau m’ont contraint à m’arrêter à la moitié. Pourtant, l’envie de faire le tour complet et de dépasser ma distance record, était installée dans mon esprit et cela serait mon objectif pour l’année 2020, c’était sûr.
Un confinement plus tard, mon besoin de courir dans de grands espaces était encore plus fort. Je suis en confiance grâce à l’entraînement croisé (cap+vélo), je sais que je suis capable de tenir cette distance et surtout d’encaisser le manque de sommeil pour faire la boucle en moins de 40 heures, j’ai déjà couru pendant 36 h sur l’UT4M. J’ai plus la caisse et j’ai enchaîné quelques grosses sorties longues à vélo, qui me donne confiance. J’ai augmenté progressivement les heures et les kilomètres ces derniers mois, sans me blesser ni me lasser.
Les projets restent souvent sur le papier ou dans un coin de la tête, sauf quand une rencontre crée le déclic et c’est ce qui s’est passé avec Guillaume de Distance. Il est de Clermont-Ferrand, le projet l’intéresse tout de suite, on ne se connaît pas, mais le courant passe bien et sa motivation me donne confiance. Pour être parfait ce projet doit être partagé, aussi bien par une équipe qui va m’apporter un support logistique, que par des pacers qui vont courir des portions du parcours à mes côtés. Je n’ai pas envie de mettre autant d’énergie juste pour moi, je me sentirai comme un sale gosse capricieux, mais j’ai envie de faire ça avec des amis. Les invitations sont lancées, le week-end choisi, des partenaires nous rejoignent : le projet devient concret.
Le 26 septembre, il est 6 h du matin, nous sommes 8 au bord de cette petite route qui croise le GR30 entre La Bourboule et Mont-Dore. La météo s’annonce exceptionnellement froide et humide, de la neige est attendue à partir de 1200 mètres, un fait rare à cette saison. Déjà, la veille, nous étions arrivés sous des trombes d’eau obliques, Simon m’avait découvert, seul devant la fenêtre, songeur et nous avons préféré en rire : “avec un peu de pluie, ça sera plus épique !”
6 h, j’appuie sur ma Garmin, tape dans les mains et me voilà parti sur le chemin sombre qui monte vers le Puy de Sancy. C’est la première des deux difficultés du parcours, qui compte environ 6 000 mètres de dénivelé positif. Je pars seul sur cette première portion, il y a moins de pacers que prévu, le covid et les agendas chargés sont eu raison de certains.
Plus je monte, plus la neige est présente, le vent puissant et froid pique mes cuisses en short. En haut, je me retrouve dans 10 centimètres de neige avec une barbe gelée, mais tellement heureux d’être là, concentré sur mon objectif, je suis dans ma bulle, heureux d’y être, enfin. Je continue vers la descente pour retrouver mes potes au kilomètre 30. Ils sont là, Guillaume me tend un thé chaud, des affaires sèches – c’est un athlète, il sait ce dont j’ai besoin et ses mots précis sont réconfortants. Simon m’attend, il est prêt à courir avec moi les prochaines heures, qui vont défiler tranquillement. Nos discussions sont agrémentées par des averses régulières et nous apprenons à nous connaître un peu plus pendant ces quelques heures au milieu des paysages du Massif Central.
Les kilomètres et les ravitaillements s’enchaînent, mais mes pieds commencent à me faire souffrir à force d’être trempés, des crevasses se forment. Je profite d’un arrêt improvisé dans un café, pour me sécher un peu à côté d’un poêle à bois. Ma bande est là, trempée, Guillaume sèche mes gants, Marvin fait des photos, Ronan me filme en train de grimacer sous les massages de Karl. Deux cafés brûlants plus tard, je repars, je suis un peu en avance sur mes temps de passages, j’aurais peut-être besoin de cette avance plus tard, autant ne pas la gâcher ici.
La nuit arrive en même temps qu’une autre bande d’amis que je connais depuis 25 ans : Roman, Nico et Jérôme. Ils ont fait le voyage pour m’accompagner, vivre ce moment ensemble et m’accueillent avec un bol de soupe chaude. Ils ont intégré la caravane, ils ne connaissaient personne, ne sont pas sportif mais tous se connaissent maintenant, l’ambiance est réconfortante malgré la pluie froide. Je repars dans la nuit : ne pas s’arrêter trop longtemps, garder le rythme, ne rien lâcher, je ne suis pas seul, j’en suis capable, j’en suis capable.
Courir la nuit à la lumière de ma frontale, seul dans la campagne est un des moment que je préfère et j’en profite, car la pluie a cessé, les étoiles me guident et les yeux brillants des vaches me font sursauter, j’en ris tout seul. La fatigue arrive par moments, mais je dois rester vigilant pour ne pas perdre mon chemin, et toujours chercher ces petites marques rouges et blanches qui me précèdent. J’arrive au 108ème kilomètre, à l’endroit où j’avais stoppé en 2019, à partir de là ça sera l’inconnu, mais jamais seul. Les jambes sont raides, mais le moral est bon malgré tout. J’espérais arriver à mi-course en meilleur état, mais le froid m’a émoussé. Je repars avec Xavier de Distance que je rencontre pour la première fois. Attentif, il se met à mon niveau, un petit rythme que j’essaie de tenir malgré les jambes qui se durcissent, et nous parlons jusqu’au prochain point de rencontre, où Guillaume prend le relai pour un long morceau.
J’arrive à m’alimenter régulièrement sans problème, j’avais prévu des sandwich jambon + cheddar, des boulettes végétales et une multitude de choses que j’ai l’habitude d’emporter : cacahuètes, TUC, barres Cook ‘n’ run, St-Yorre, coca… Durant la nuit, j’ai des légers coups de barre, rien de méchant, mais j’avale 3 gels Maurten à la caféine au goût neutre et pas écœurant, qui me donne le petit coup de fouet dont j’ai besoin. Le jour va se lever sur ma deuxième journée de course et Karl m’annonce les prévisions météo sans ménagement : « On va pas se mentir, tu vas en chier jusqu’à la fin… » Elles sont catastrophiques et elles se révéleront exactes : pluie et neige de 5 h heure du matin jusqu’au soir.
Dans une course classique, nous sommes souvent encouragés par le public et aux ravitaillements, les bénévoles nous accueillent et nous remotive si nous en avons besoin, mais sur cette expérience les liens étaient plus direct et la proximité que j’avais avec l’équipe m’a portée jusqu’à la fin. Sans leur aide, leur écoute, leur attention, je n’aurais pas vécu cette histoire aussi intensément et peut-être que je n’aurai pu finir.
En amont de la course, j’avais soigneusement préparé les repérages en prévoyant les points de rencontre avec l’équipe tous les 25/30km, partagé une carte avec des points précis pour nous retrouver facilement. Cela me servait aussi à visualiser mon avancée, prévoir mes besoins et me préparer avant de les retrouver, à choisir ce dont j’avais besoin le plus rapidement possible. Malgré cela, nous nous sommes ratés une fois, mais sans conséquence.
C’est le matin, je rate l’équipe à un croisement peut-être à cause de la fatigue, mais je les retrouve dans un café qui est devenu notre QG pour quelques dizaines de minutes. Les traits sont tirés, mais tous ont le sourire, ils me couvrent de doudounes, me servent des cafés, ils me sèchent mes affaires et je pars avec les jambes toujours plus dures. Pour les derniers kilomètres, et peut-être les pires, Simon vient faire le poisson-pilote et me guide dans la neige vers le col de Guéry. Je glisse dans les ornières, patauge dans de l’eau glacée, je ne sens plus mes pieds, ni mes ampoules… Le vent monte en intensité en même temps que nous grimpons cette dernière difficulté. Le balisage est recouvert de neige et nous partons dans une mauvaise direction pendant quelques centaines de mètres, nous grelottons de plus en plus, nous ne pensons à une seule chose : redescendre vers un endroit moins froid et surtout vers la ligne d’arrivée. J’ai rarement eu des conditions aussi extrêmes en trail-running et surtout dans cet état de fatigue, nous n’avions pas le droit à l’erreur, il fallait rester actif et focus dans l’action.
Enfin, nous sortons de la neige, les pieds et les mains engourdis, j’ai du mal à courir, mais je me fais violence, je sais que toute la bande m’attend en bas, au bord de cette route que j’ai quitté il y a longtemps maintenant. Je retrouve Karl et le petit frère de Guillaume, venus m’indiquer le chemin sur les deux derniers kilomètres et enfin au bout, je retrouve mes amis, dans la lumière des phares du van, la musique à fond, m’attendant une bière à la main, sous la pluie, qui me prennent dans leur bras et me félicitent.
J’ai qu’une seule envie, aller boire un verre tous ensemble, ne pas les quitter tout de suite et les remercier pour leur patience et leur amitié, mais je ne tiens plus debout et je grelotte. Nous nous quittons au bord de cette route D130, après 37 h 40, réunis par le même objectif : nous venons de courir plus de 200 Km ensemble.
Liste matériel :
Montre GARMIN FENIX 6
Frontale Petzl NAO+
Veste ARCTERYX NORVAN SL (une des meilleures vestes que j’ai pu essayer)
Short Arcteryx
Caleçon SAXX
Chaussettes STANCE
Chaussures ARCTERYX NORVAN LD et NEW BALANCE HIERRO
Sac a dos ARCTERYX
REMERCIEMENTS :
-Guillaume Pontier et Xavier de DISTANCE, sans qui ce projet aurait eu du mal à voir le jour
-Arcteryx pour nous avoir équipé et supporté ce projet
–Road Surfer pour le Van super confort et ultra pratique pour ce type de projet
–Simon Dugué qui a couru plus de 80km avec moi, en discutant et tout en faisant une vidéo
–Marvin Leuvrey pour ces photos et sa résistance au froid
-Karl pour ses massages TRÈS appuyés, autant que ses blagues
-Ronan pour l’ensemble de son œuvre
-Roman, Nico et GG pour me supporter depuis bientôt 25 ans.
-Et bien sûr, ma Sophie, Léonie et Rose, toujours prêtes à me suivre dans tous mes projets.
Bonjour Yann, je m’apprête à faire le GR30 en autonomie complète. Vraiment difficile de trouver des point d’eau sur le parcours??
Merci de ta réponse
Salut Mathieu. tu vas avoir des bons passages sans points d’eau, a part dans les villages tu en trouves peu. surtout en été. prends une flasque avec filtre peut-etre pour prelever dans les lacs au pire. bon run !