34 heures, 27 minutes et 56 secondes.
C’est le temps qu’il m’a fallu pour parcourir les 168 kilomètres de cette course à pied mythique qui entoure le massif du Mont Blanc.
Vendredi 30 aout 2013, 16h30/Chamonix
Nous sommes 2400 à piétiner en attendant le top départ de The North Face® Ultra Trail du Mont Blanc®. Depuis plus d’un an je m’entraine avec cette course en tête et les dernières secondes sont les plus longues. Toute la vallée est venue saluer notre départ, la musique est couverte par les encouragements du public et je peux m’empêcher d’avoir une boule dans la gorge quand je passe l’arche qui symbolise le départ mais aussi l’arrivée, et qui sera mon seul objectif pendant les heures à venir. La masse humaine commence à bouger et j’entends mon prénom, c’est les 3 frères du Jura avec qui j’ai parcouru les chemins de l’UTTJ. Nous nous retrouvons par hasard et nous commençons à courir ensemble les premiers kilomètres.
Nous partons sur un rythme de 5 minutes30 au km (environ 11,5 km/h) qui ne sont pas franchement rapides si tu pars pour un semi ou même un marathon, mais pour un ultra-trail de 168 km et 9600m de dénivelé, c’est un beau départ. Environ 8 km de plat pour arriver aux Houches où je suis toujours les 3 frères tant bien que mal puis c’est la première vraie bosse pour monter au Délevret.
Dans cette première côte où tout le monde se calme, reprend son souffle, la plupart marchent, j’entends encore mon nom mais ce coup-ci c’est un autre coureur que j’ai aussi rencontré sur l’UTTJ, Jean-Daniel, avec qui je discute pendant une demi-heure tout en montant. La question rituelle pendant une course aussi longue arrive fatalement :
moi > « alors toi, tu veux essayer de finir en combien de temps? »
lui > « 30 heures si tout va bien »
moi > « ha oui quand même… »
En sachant que je suis partis sur des temps de passage pour boucler en 36h pauses comprises, je suis très impressionné et je sais tout de suite qu’il faut que j’arrête de suivre son rythme car je risque de me griller très rapidement. On se souhaite bonne chance et Jean-Daniel part au petit trot en pleine montée. Jean-Daniel finira sa course en 28h et 34 minutes à la 77e place ! Par mail il me dira qu’il allait se reposer quelques semaines (on peut le comprendre !) mais qu’il n’allait pas s’arrêter là.
Première descente et j’arrive à St-Gervais où toute la ville est là pour nous accueillir. Comme sur tout le parcours, les gens nous encouragent, nous appelle par nos prénoms inscrits sur nos dossards. Même si j’ai l’habitude, à chaque fois que j’entends mon prénom, je souris, remercie et repars regonfler à bloc. Petit coup d’œil à Facebook, une photo, je regarde les messages de mes amis et je file vers les Contamines.
Premier gros ravitaillement, prendre le temps de se changer car la nuit tombe, reprendre de la boisson énergétique, manger une soupe chaude, du fromage et du saucisson. Ne pas rester trop longtemps sinon on a froid. Je vois certains pour qui la nuit va être longue, ne pas se laisser happer par la chaleur de la tente, vite repartir. Un peu trop vite car je m’aperçois j’ai surestimé la chaleur et je n’ai pas cru bon de mettre mon collant. Le vent se lève tandis que la route monte vers le col du Bonhomme et la température baisse rapidement alors j’improvise un changement sur le bord de la route. Me voilà cul nu sous la lune en train de me battre avec mon collant et c’est à ce moment-là que débarque un petit groupe, frontales en pleine face, je sais ce que ressent un lapin dans les phares d’une voiture…
La nuit passe avec un petit coup de barre vers 2h mais je n’ai pas le temps de m’ennuyer car le col de la Seigne me donne du mal, la fin n’est jamais là où on l’attend, il reste toujours un petit ressaut. Je sais qu’il faut être patient et profiter de ces heures si particulières ou je suis dans la montagne à plus de 2000 mètres, suivant des banderoles et poursuivi par une guirlande de frontales. La lune est énorme comme dans un dessin animé et les étoiles éclairent la silhouette des crêtes, j’en ai des frissons.
Plusieurs personnes m’avaient prévenu que la descente sur Courmayeur était usante mais c’était pire que ce je pensais, on perd 1500m de dénivelle en seulement 9 km ! Les cuisses chauffent déjà et je sais que cela sera mon point faible sur la fin de course alors j’essaie de m’économiser car on m’a aussi dit : « il faut arriver frais à Courmayeur, jusqu’à là-bas ça doit être gratuit pour ne pas payer cher le reste ! » J’arrive à 6h avec 40 minutes d’avance sur mon programme. J’essaie de pas trop m’attarder, de rien oublié, je profite du sac de déchargement autorisé et me change avec des vêtements secs pour cette journée qui s’annonce plutôt chaude.
Je repars doucement car je sais ce qui m’attend, le reste du parcours je le connais car c’est celui de la CCC que j’ai faite en 2007 et 2008. Refuge Bertone, refuge Bonatti et surtout le grand col Ferret qui peut être un supplice en plein soleil. Je prends un bon rythme sans jamais me mettre dans le rouge, les jambes suivent bien mais le cœur bat un peu trop vite alors je calme le jeu malgré moi. Dans la montée du refuge Bonatti je retrouve Ian que j’avais croisé dans la nuit à un ravito et avec qui j’avais échangé quelques mots dans mon anglais approximatif. Content de voir un visage que l’on connaît et un peu moins fermé que les autres, on échange :
lui > « d’où tu viens ? »
moi > « de Chamonix. et toi? »
lui > « pareil! »
Faut dire que nous commençons à être un peu fatigués et que la plupart des coureurs sont assez renfermés sur leur effort ou que la barrière de la langue est difficilement franchissable. Sur l’UTMB, environ 30 nations sont représentées, il est donc compliqué à certains moments de se faire comprendre ou d’entamer une conversation encore plus de faire de l’humour. Du coup avec Ian, on s’attend et on fait un bon bout de chemin ensemble même si il m’appelle « Gobeurte » croyant que c’est mon prénom ! Premier gros coup de barre, je prends certaines ombres pour des gens sur le bord du chemin, je m’enfile un gel à la caféine de Mulebar et 15 mn plus tard tout va mieux.
Viens la grande descente vers La Fouly où je sens que mes pieds vont me faire souffrir, je vais devoir faire une grande pause à Champex pour pouvoir finir dans de bonnes conditions. Le public Suisse est sur le bord de la route et nous encourage avec un petit mot pour chacun. Arriver sur Champex et je file directement à la tente podologue/kiné et je tombe sur la chef kiné qui me prend « en main » en me pétrissant les cuisses pendant que sa collègue crève mes ampoules et fixe de l’élasto. Je ne sais plus ce qui me fait le plus mal mais je sais que c’est pour mon bien… Pendant que ces deux femmes adorables me torturent tout en discutant avec moi, Michel Poletti (créateur de la course) déboule et l’on débat de la météo, du parcours, de l’heure du départ, il me demande mon avis que je donne en serrant les dents car les massages (ou les ampoules) me font souffrir. 40 minutes plus tard je repars bien mieux qu’a mon arrivée : j’ai mangé, bu, pris de l’eau car je supporte de moins en moins le sucre et surtout mes pieds ne me font plus souffrir. Quant à mes cuisses, je verrai plus tard qu’elles ont plus de ressources que ce que je croyais. Je repars sur un bon rythme car je crois avoir perdu beaucoup de place avec cet arrêt prolongé.
Je sais que le plus dur est fait, il me reste 3 cols et 3 descentes assez identique avant de passer la ligne d’arrivée à Chamonix. Je monte Bovine assez tranquillement et en haut je passe en 325e me position, très heureux de cette nouvelle inattendue, je descends calmement car je souffre encore des cuisses. Ravito de Trient avec un super accueil, une dame me propose de revenir voire de rester pour la vie, on rigole mais j’ai encore des kilomètres à faire moi ! Je repars pour la montée de Catogne ou je passe le check-point à la 395e me place. J’ai perdu 70 places ! Je m’en veux pourtant le classement général ne faisait pas parti de mon objectif mais j’ai un sursaut d’orgueil et me dis que je dois finir cette course avec plus de panache et tout faire pour rester dans les 400 premiers.
Je mets de la musique, me fait violence sur les premières foulées. Prendre de bons appuis, rester concentrer car le risque est de se tordre une cheville à quelques kilomètres de la fin. J’accélère, prend confiance et me cale dans le rythme de la musique (live de Daft Punk et Kids&Explosions), je reprends rapidement des concurrents et chaque lumière que je vois devant devient une « target » que je dois rattraper. Je passe environ 45 secondes au ravito de Vallorcine car je vois que beaucoup de monde s’attarde et je ne veux surtout pas perdre le rythme que j’ai retrouvé, je prends de l’eau et fonce dans la dernière montée qui, comme on me l’a dit à plusieurs reprises, est très casse-pattes. Rapidement le chemin laisse place à une sorte d’énormes pierriers avec de grandes marches et des blocs de pierres. Je pars avec un groupe de 5 personnes mais au bout de 10 minutes seul un italien et moi tenont le rythme et accélérons quand le terrain redevient plus plat. Il me parle du Tor des géants qu’il envisage de faire l’année prochaine. On est en train de finir une course de 168 km et le gars me parle d’une course qui en fait 300 !
On se quitte à la Flégere car nous prenons de la vitesse, on sent que la fin est proche. Je veux encore reprendre des places et j’ai très envie de retrouver ma petite famille qui m’attend sur la ligne d’arrivée. Je fonce dans la descente malgré mes ampoules et je rattrape une bonne quinzaine de coureurs. La descente est interminable mais les lumières de Chamonix sont de plus en plus proches et j’accélère toujours.
J’arrive enfin sur la route qui entre dans la ville et je rejoins un grand colosse avec qui je j’échange quelques mots, on se congratule, on est très émus et très fatigués. Je tourne dans la rue piétonne et je vois mes filles et Sophie emmitouflées dans des couvertures ! On s’embrasse, les filles m’attrapent et l’on court vers la ligne que l’on passe tous ensemble. L’arrivée est toujours un moment qui passe vite, un moment que l’on attendait longtemps mais qui devient quelque chose de fugace.
On se serre tous les 4 très fort car mais si elles n’étaient à mes côtés, ma famille m’a accompagnée pendant toute la course et aussi pendant toute la préparation avec des moments où je n’étais pas très facile à vivre. Mais on se souvient que des belles choses. Nous sommes le dimanche 1er septembre, il est 2h58.
Remerciement : à Sophie, Léonie et Rose. Ma famille, mes amis qui m’ont envoyé 190 textos en 34h et des dizaines de messages sur Facebook. Cadmos qui m’a aidé pour la logistique et le véhicule, Greg de Mulebar qui m’a nourris, Petzl qui m’a éclairé, la famille Adam qui m’encourageait avec ferveur, Ian avec le dossard 3140, les organisateurs de l’UTMB qui m’a accueilli et évidemment Véro de North Com qui m’a équipé avec The North Face et permis de réaliser un de mes rêves, participer à The North Face® Ultra Trail du Mont Blanc®. MERCI !
Ta fée clochette 🙂
BRAVOOOO !!! Fabuleux récit et surtout fabuleuse épreuve. C’est magnifique Yann !
Très joli récis Yann et merci pour le clien d’oeil au gel Mulebar café, il a du en aider plus d’un lors de la course !
Salut Yann, j’ai découvert ton site au hasard de mes navigations pré-utmb et je te suis depuis début 2013. Je t’ai aperçu de façon fugace sur la ligne de départ à Cham au pied de l’église… Pour ma part, arrêt à Arnuva cette année après quelques soucis d’alimentation. C’était une première mais je reviendrai !
Bravo pour cette course parfaitement maitrisée et ce beau récit qui ne donne qu’une envie : y retourner !
Merci Nicolas. Désolé que tu ai dû abandonner mais on peux rien faire quand le corps dit stop. Fait moi signe quand tu auras décidé de ton calendrier, on pourra peut-etre discuter en « vrai » !
Salut chouette récit qui donne bien envie! pour ma part cette année c’était la ccc sur laquelle je n’ai pris que du plaisir et appris plein de choses à améliorer pour l’année prochaine peut être sur la tds pour tenter la grande boucle en 2015 …