Ma course, a débuté le 24 février, quand j’ai reçu le résultat du tirage au sort, j’allais faire partie des 600 coureurs à prendre le départ de cette course mythique, la Leadville. Il y a 3 courses qui me font rêver aux États-Unis : la Western State, la Hardrock et la Leadville. Les 3 sont des 100 miles et ont chacune leur particularité.
The Western States 100 Mile Endurance Run
La Western est réputée toujours très chaude, elle se déroule le dernier week-end du mois de juin en Californie. Son histoire est très particulière car c’est à l’origine une course qui se fait à cheval. Mais en 1973 Gordon Ainsleigh dispute sa course préférée, quant au bout de 29 milles il est obligé d’abandonner car son cheval est épuisé, Gordon continue mais en courant. L’année suivante Gordon ou Gordy pour les initiés, se présente sur la ligne de départ sans cheval, et part en trombe. Malgré une bonne déshydratation, il finira la course et l’année suivante il sera rejoint par d’autres concurrents, ainsi le réputée western States Endurance Run devenait le premier ultratrail. Depuis, Gordon a toujours porté le dossard numéro 0 sur cette course.
The Hardrock 100 Mile Endurance Run
L’autre géant de l’ultra aux US. 100 miles, 10 000 mètres de dénivelé et beaucoup d’altitude : le point culminant est à 4200 mètres. Au départ de Silverton, Colorado, cette course est créée en 1992 et chaque année elle réunit 140 participants au mois de juillet, avec 48h maximum pour boucler le parcours. Autre particularité, chaque année l’organisation change le sens de la course, un coup dans le sens des aiguilles d’une montre et l’année d’après, dans le sens contraire. La tradition veut que l’aient « kiss the Hardrock », une image d’une tête de bélier peinte sur un grand bloc de pierre, une fois la ligne passée.
The Leadville Trail 100 Run
Elle aussi a une histoire forte puisqu’elle a été crée au lendemain de la fermeture de la mine d’argent qui faisait vivre toute cette petite ville du Colorado. Le co-fondateur de la course, Kenneth Chlouber, est un coureur de marathon confirmé, qui a imaginé cette course comme un moyen de rendre la grandeur de Leadville et la fierté de ses habitants. Comme Ken nous l’a raconté pendant le briefing, c’était ça ou mourir. Il devait trouver une motivation pour ce lever le matin, lui et les 3200 autres anciens employés de la mine. Aujourd’hui, la LT100 fait partie de 7 courses à pied et à vélo tout terrain des Leadville Race Series.
En 1992, 5 Tarahumaras ont participé à la course sans la finir. Apparement ils étaient pas habitué aux chemins, aux courses « organisées », mais les années suivantes, ils sont venus et ont gagnés 2 années de suite. Victoriano Churro, âgé de 52 ans, est arrivé en premier, suivi de Cerrildo, 41 ans. Depuis 2005, le record de l’épreuve est tenue par Matt Carpenter en 15h 42m 59s.
La longue route
Après 3 semaines de voyage en famille en partant de San Francisco, nous arrivons à Leadville, 2 jours avant les départs, le temps de découvrir la petite ville mais surtout de préparer ma course. Une petite balade en montagne avec la famille, un petit run pour se dérouiller les jambes et l’ambiance commence à monter en ville. On croise de plus en plus de coureurs, le grand moment du brief par Ken Chlouber et sa femme, Merilee Maupin, lance vraiment l’événement. Ken nous raconte l’histoire de Leadville et de la création de la course, il désigne les gens qui ont couru de nombreuses fois les Leadville et les invites à se lever, puis ceux qui ne l’ont jamais faites, puis les étrangers, et chacun son tour nous nous levons, applaudi par la salle entière. Ken se lance dans un discours très émouvant ou il nous dit nous ne sommes pas ici pour faire la course, non, nous sommes ici dans cette salle de lycée tous ensemble pour vivre quelque chose d’unique, se sentir vivant et passer en semble la ligne d’arrivée, et à ce moment-là, quand nous aurons tous vécu cette expérience ensemble, nous ferons partie de la même famille. Tout le monde se lève applaudie, siffle, cri… Sophie et moi finissons debout avec les yeux mouillés et le cœur qui bat 200 !
3h, le 19 aout
Todd mon voisin de camping m’emmène sur la ligne de départ avec sa famille dans son énorme pick-up. Il a déjà tenté cette course il y a 7 ans et a dû abandonner la course à seulement 9 miles de l’arrivée, il était hors délais et n’arrivait même plus à marcher. Cette année il s’est préparé sérieusement, il fait partie des Lead Man, c’est-à-dire qu’il a pris le départ des 7 courses de Leadville (running et vtt). Aujourd’hui c’est la dernière étape pour lui mais il sait que c’est la plus dure, il peut craquer à n’importe quel moment et abandonner.Quand je leur dis que suis seul, pas de crew qui me suit sur les différents points de ravitaillement, ni pacer, toute la famille ne me lance un « Woaaa ! Amazing ! » C’est une des grandes différences des courses aux États unis apparemment, les familles et accompagnants sont très présents et suive le coureur du début à la fin, ils sont aux petits soins avec fauteuils, glacière, huile de massage… et toujours prêt à encourager leur coureur mais aussi les autres comme moi, et je les en remercie car j’avais l’impression d’être accompagné moi aussi par toute une bande de groupie tout au long du parcours.
3h55
« y a-t-il des vétérans de l’armée ? » et plein de poings se lèvent autour de moi, notamment un géant de 1m95, à côté de moi, avec un physique de rugbyman plus que de coureur d’ultra. On discute rapidement et me lâche qu’il va tout faire pour être dans les temps cette année, et commence à me parler de son expérience précédente mais l’hymne national débute, il met sa main sur le cœur et baisse la tête. Je regarde autour de moi, la majorité des gens sont dans la même position que mon géant, quelques étrangers comme moi film la scène. Franchement, la scène me met les poils comme on dit. Je ne suis pas vraiment fan des hymnes et autres chants patriotes mais il y a une sorte de recueillement, de calme, qui me laisse sans voix. Je ne sais pas ce qui se passe dans toutes ces têtes, quelles prières sont récitées, les motivations de chacune, les rêves de tous mais le but est commun. « The Starspangled Banner » chanté a cappella fini, un dernier « God bless you all » et Ken avec son fusil dans la main lance un AC/DC à bloc juste avant le décompte du départ. 5, 4, 3, 2, 1… Pan !
4h
Les premiers kilomètres sont rapides évidemment, on a tous envie de courir, de se lancer dans la nuit, de se retrouver au milieu du silence de la forêt et des montagnes. Je me suis donné comme objectif de finir simplement cette course, qui a une barrière horaire de 30 heures pour parcourir les 170 km. Il y a un inconnu pour moi sur la Leadville, l’altitude. En effet la course se déroule entre 3000 et 4000 mètres, des altitudes où je n’ai pas vraiment l’habitude de courir, j’ai marché ou skié jusqu’à 5000 mètres mais je n’ai jamais dû courir, donc je veux partir sur des bases de vitesse tranquille, jamais au-dessus de 6 minutes au kilomètre (10 km/h).Les chemins se rétrécissent, nous longeons le Turqoise Lake, où campent les filles. Nous sommes maintenant en file indienne, je me réchauffe petit à petit car les matins sont plutôt frais à 3000 mètres d’altitude.
Il y a déjà quelques spectateurs pour nous encourager, l’ambiance dans le peloton est très décontracté, je vois passer des coureurs sans sac, en débardeur, avec une gourde dans chaque main. Leur crew doit les attendre au prochain ravitaillement, donc pas besoin de se surcharger. Aux États-Unis, pas de matériel obligatoire, ni de réserve d’eau minimum, on m’a pas demandé de certificat médical non plus. Le système est moins hypocrite que chez nous, on sait tous qu’un certif ne veut pas dire grand-chose, qu’il sert juste aux organisateurs de se couvrir, quant au matériel, chacun prend ses responsabilités et doit pouvoir assumer ses choix, je trouve ça plutôt intéressant et « adulte ».
J’arrive au premier ravitaillement, May Queen Aid Station, avec 30 minutes d’avance sur la barrière horaire, juste ce que je voulais. Tous les crews des coureurs sont là, et encouragent avec enthousiasme, malgré le froid. Je prends un peu d’eau et des fruits, je m’attarde pas trop, le jour se lève doucement mais pas assez pour me réchauffer. Le profil change progressivement, on commence à monter doucement en altitude et pour le moment tout va bien, j’ai un peu de mal à m’alimenter mais j’ai les jambes. L’ambiance est vraiment cool, pas de pression supplémentaire, on sait tous que la barrière horaire est courte et qu’elle est la même pour tous, mais tous les coureurs s’encouragent entre eux. Chaque fois que quelqu’un me double, il a toujours un petit mot au passage « good job! ».
À chaque ravitaillement je vois mon avance sur la barrière horaire augmenter, la journée se passe et les kilomètres aussi. J’arrive à la Twine Lake aid Station, qui se trouve juste avant la grande « boss », qui nous fait monter a 4000 mètres. Je prends un peu mon temps, je m’étire et essais de manger quelque chose de consistant. Je fonce sur un sandwich qui avait l’air appétissant mais qui est bourré de mayonnaise… Une particularité des Américains, c’est leur alimentation. Je vois beaucoup de coureurs picorer des bonbons, des pickles, des cornichons. Je repars du ravito un peu écœuré par la mayo, mais je suis déjà les pieds dans l’eau du Lake Creek, avant d’entamer la montée vers l’Hope Pass. Dès le début, je sens des points de côté le long du diaphragme, qui m’empêche de prendre une respiration profonde. Je baisse le rythme mais rien n’y fait, je m’essouffle de plus en plus, et la nausée monte avec l’altitude. Je vois que je ne suis pas le seul à souffrir mais d’autre passes devant, toujours avec un petit mot sympa. Je suis obligé de monter au ralenti, tous les 50 mètres je me repose sur mes bâtons. C’est à ce moment que je croise Ian Sharman, accompagné de pacer, il est déjà sur le chemin du retour en petites foulées mais à bonne allure. C’est une des spécificités de cette course, ce n’est pas une boucle mais un aller et retour : 50 miles jusqu’à Winfield et on fait demi-tour pour retourner à Leadville par le même chemin. C’est assez rare dans ce genre de course de pouvoir croiser les premiers du classement, et surtout qu’ils nous encouragent.
J’arrive à Hope Pass accueillis des lamas, et des bénévoles aux petits soins comme d’habitude. je m’assois pour reprendre mon souffle avant d’attaquer la dernière partie, la plus raide, avant de basculer dans l’autre vallée. il n’y a pas mal de coureurs qui ont l’air de souffrir de l’altitude comme moi, et d’autres passent comme si de rien n’était. Je ne traine pas trop car il commence à pleuvoir, le col est proche, le chemin zig zag et surplombe les Twin Lakes, d’où je viens. Après quelques mètres, la pluie se transforme en grêle, devant moi un homme en débardeur, petit short, est comme pétrifié pendant quelques secondes. De mon côté je m’inquiète car j’ai choisi de prendre seulement un coupe-vent pour la journée, ma veste épaisse m’attend au Twin Lakes station Aid, sur le chemin du retour, histoire de passer la nuit au chaud. Je passe le col au moment où le troisième au classement passe dans l’autre sens, torse nu avec une gourde à la main, pas de pacer, c’est assez rare chez les premiers.
La grêle redouble au moment de passer de l’autre côté du col, plus je descends et plus je reprends mon souffle. Au bout de quelques lacets, la pluie cesse, puis le vent tombe et enfin, une fois arrivé dans la vallée, le soleil brille à nouveau. C’est un long single track légèrement descendant qui m’emmène vers la mi-parcours, je croise de plus en plus de coureurs sur le chemin du retour, qui m’encourage toujours d’un « good job » ou « great work ». Pour pas paraître snob j’essaie avec mon accent et mes mots de les encourager mais la fatigue aidant, ça donne des trucs étranges et pas forcément compréhensible. Alors au bout d’un moment, j’ai commencé à parler français avec mes mots à moi et personne ne s’est plaint !
Voilà, j’arrive à la moitié de cette course, l’accueil est fantastique, les bénévoles et les crews sont survoltés, ils encouragent absolument tout le monde avec la même ferveur, je n’ai jamais vu ça. À peine arrivé, des bénévoles me prennent en main, me remplissent mes gourdes, me demande si j’ai un sac d’allégement ici, ce que je veux manger, etc.… et puis au bout de quelques minutes, on me remet sur la piste et en avant ! À plusieurs reprises, les gens m’encouragent à repartir le plus vite possible, alors je repars dans l’autre sens, je sais ce qu’il m’attend, je sais que j’ai faits la moitié et surtout qu’une belle montée de 1000 mètres de dénivelé est devant moi.
La remontée vers le Hope Pass est pire que l’aller, je me fais doubler par des dizaines de coureurs. J’en vois quelques-uns en perdition comme moi, mais franchement je suis mal en point, j’avance mètres par mètre et le chemin me paraît interminable. Une fois en haut, le vent est fort et froid je redescends rapidement sur le Hope Pass Station où les Lamas n’ont pas bougé. Apparemment, c’est un peu l’hécatombe ici, je vois des gars enroulés dans des couvertures de survie, d’autres en mode Zombie avec un bol de soupe. J’arrive à boire un peu de bouillon qui me réchauffent mais je m’éternise par car je sais que j’ai perdu une bonne partie de mon avance sur la barrière horaire. Je fonce dans la descente, et encore une fois plus je descends, plus je revis. Le souffle va mieux et le moral aussi. Je dois sortir la frontale pour traverser les 2 bras de rivières qui se trouvent juste avant le Twin Lake Aid Station. Mon sac d’allégement m’attend ici avec de quoi passer la nuit au chaud : un haut à manches longues, une veste épaisse, gants et bonnet. Changement aussi de chaussettes, j’emporte à manger dans des sacs plastiques que l’on me donne au ravito et je me fais virer gentiment par mes bénévoles/anges gardiens au bout de 10 minutes.
La nuit se passe très bien car je me nourris de mieux en mieux, à base de soupe et de café. La forme revient et malgré la fatigue, j’arrive à trottiner la plupart du temps. Le tracé du retour est légèrement descendant et quand ça remonte je sors les bâtons et me transforme en marcheur nordique ! Sur les chemins je discute très souvent avec des coureurs, ce ne sont parfois que quelques mots de « politesse » mais toujours sincères et qui donnent le moral. Et certaines fois, quand je dis que je suis français, on me pose plein de questions et la discussion s’enchaine. La nuit passe au fil des kilomètres et des ravitaillements toujours aussi chaleureux et certains même alcoolisée. Le soleil se lève et ma frontale rend l’âme, je suis le bord du lac Turquoise, je sais que la ville est proche mais les derniers kilomètres sont les plus longs évidemment. Sur une longue ligne droite interminable, je joue avec un jeune coureur et son pacer, je les oblige à courir et fais pareil avec moi. La tête est là mais les jambes ont du mal dans cette dernière côte. Et puis on sait que l’on a dans les temps, on n’aura pas le privilège de porter la fameuse boucle des finishers en moins de 25 heures, mais on sait que l’on y est, alors on profite. Le soleil est devant nous, aligné avec l’arrivée, de plus en plus de gens nous encouragent sur le bord de la route, certains nous suivent depuis plus d’une journée, ils sont tout autant fatigués que nous, mais on encore de la voix. La ligne d’arrivée se rapproche, je cherche du regard Sophie et les filles. Je vois mes petites chenilles emmitouflées dans des duvets et des couvertures, qui se mettent à courir dans ma direction.
Il est 7h41, à Leadville, Colorado. Les 20 aout, je passe la ligne d’arrivée en 108e me position. Merilee me passe la médaille autour du cou et Ken me prend dans ces bras « tu fais partie de la famille maintenant ! » J’ai gagné ce que je vais chercher.
Un grand bravo à toi pour avoir relevé ce très beau défi ! J’ai découvert le Colorado et notamment Leadville lors de vacances en Septembre. Je me suis bien rendue compte que le facteur altitude n’est pas à prendre à la légère dans ces contrées. Sur un 100 miles, ça doit bien peser ! J’avoue quand même que ça donnerait presque envie de le faire 😉