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Étape du Tour 2018

Comme une impression d’être une 4L au milieu d’un grand prix de formule 1.
Carénage rutilant, aérodynamisme éprouvé, mollet saillant, cuisses huilées, les grosses cylindrées sont prêtes pour le jour de gloire. L’étape du Tour. Nous avons une semaine d’avance sur les Pro et ce n’est pas de trop : 4 cols, 158 km et plus de 4000 mètres de dénivelé. Ce jour-là, certains l’attendent depuis un an, voire plus. La première épreuve est déjà de s’inscrire, les places sont chères et partent vite. Environ 110 euros pour rouler sur les routes fermées, entouré des voitures jaunes Mavic, chronométré, encadré par la police, filmé par l’hélicoptère, pris en photo pour la postérité. Parfois, certains demandent pourquoi payer si cher pour rouler avec autant de monde. Ceux-là n’ont jamais passé une après-midi d’été à transpirer sur un canapé en cuir chez Tata Jacqueline, en beuglant sur Thierry Claveyrolat qui gagnait la 10e étape du Tour 90. Non, ils ne peuvent pas comprendre, car ils n’ont pas la passion. Ils étaient ou en 86 quand Bernard Hinault fait son dernier Tour de France ? Si je vous dis Luc Blanc, Hautacam en 94, ça vous met des frissons . Non ? Alors vous pouvez pas comprendre.

Ce matin, on vient jouer au Tour de France.
Comme on faisait petit, sur des vélos trop grands, les genoux rougis par le mercurochrome, on se prend pour. Certains sont habillés comme, dont le même vélo que. On peut dire que la différence entre un adulte et un enfant c’est le prix de ces jouets, et je le vérifie sur la ligne de départ. Autour de moi, le coureur lambda est équipé de 8 000 euros de carbone et d’électronique, le dernier jersey, le casque aéro, même les pros ne sont pas aussi bien équipés. Quand on a les moyens c’est plus facile de perdre 500 grammes en achetant une paire de roues en carbone, que d’arrêter les apéros et la raclette.Il est 6 h, les 12 sas se remplissent, 1000 participants par vagues, départ tous les 15 minutes. Les derniers du sas 12 partiront 3 heures après les premiers, et seront surtout en plein soleil tout le parcours. Pas de chance. Ils auront encore plus de mérite mais ça on le dit pas trop. Les sas sont attribués selon ton “niveau” et surtout si tu as déjà fait une étape du Tour. Pour moi c’est la première fois mais j’ai un passe-droit obtenu grâce à mon club, le Rapha Racing Club, partenaire de l’événement. Je serai dans le sas 2 avec les bolides, même si j’arrive un peu fatigué par une année bien remplie, pas mal de kilomètres et une envie de se calmer et de poser le vélo. J’y vais pour profiter du parcours, rouler avec les copains et voir ce fameux plateau des Glières dont on entend parler depuis des semaines.

Les rois du carbone
Vers 7h15, on arrête de rigoler, on met son casque, ajuste les lunettes et le départ est donné. Évidemment ça part à fond, mais pour certains c’est arrêt au stand dès les premiers kilomètres, comme d’habitude quelques-uns confondent vitesse et précipitation : chutes, chaînes qui cassent, pneus crevés, et même un cadre coupé en deux. Rapidement on quitte les bords du lac d’Annecy à Menthon-Saint-Bernard pour arriver vers les premières pentes et traverser Manigod et passer le premier col de la journée, le col de la Croix de Fry. Certains sont déjà beaucoup plus calmes que sur la ligne de départ, les routes du massif des Aravis ont rendu plus humbles certains coureurs, un peu trop sûr d’eux. Pour les autres, plus en forme, il n’est pas bon de les gêner. Partis dans un sas plus loin, certains “champions” doublent et en oublient les rudiments de la politesse.

Les fous du guidon
On bascule dans la première descente et là les fous du guidon sont lâchés. Je me fais doubler par la gauche, la droite ou parfois les deux en même temps. Coup de frein, dérapage, trajectoires incertaines, c’est le grand n’importe quoi, pour rattraper une place, ou gagner trente secondes, les champions du jour sont prêts à prendre des risques et en passant, à me coller la frousse. C’est peut-être la fatigue ou l’envie de profiter du moment mais je comprends pas pourquoi prendre autant de risque pour rien, car il y a bien un classement à la fin de la journée, mais si vous n’êtes pas dans les 10 premiers, votre vie ne se trouvera pas changée. Alors pourquoi ?

Pourquoi prendre des risques, pourquoi râler contre ces montées qui n’en finissent plus, le soleil qui tape, les crampes, les cuisses dures… On est venu de notre plein gré et la moitié des participants râlent, grognent et pestent contre tous les éléments, et peut-être contre eux, s’en veulent de s’être embarqué et pourtant, ils sont heureux d’en “chier”, ils sont venu pour se faire “mal”. Parfois un peu trop, comme dans cette descente où je vois des traces de freinages sur le bitume tout neuf et au bord de la route, juste à côté d’un grand vide, un vélo ou plutôt ce qui en reste. Une sorte de compression de César. Au-dessus, un hélicoptère part, des secouristes rangent leur matériel. Quelques kilomètres plus loin, c’est un camion de pompier arrêté au milieu de la route, avec un drap pour cacher un coureur. On l’entend hurler. À voir les visages des pompiers et des secouristes, ça doit être moche.

On a tous des choses à se prouver, mais a-t-on besoin de se mettre en danger pour autant ? Le sport ne devrait-il pas être un moment de plaisir, à chacun son rythme, à chacun son objectif ? Pourquoi mettre autant de sérieux et de gravité dans ces moments qui devraient être simple et léger ? Bref on est là pour s’amuser, pas pour se foutre en l’air ! C’est à peu près les questions que je me posais en grimpant les cols, peut-être dans une forme plus simple et directe comme “putain qu’est-ce que je fous là avec tous ces excités du guidon ?”

Ce jour-là, Victor Lafay, un amateur, est arrivé en premier en 5h15. Une semaine plus tard Julian Alaphilippe a remporté la 10e étape du Tour de France en 4h25. L’étape du Tour c’est exactement la même étape que les professionnels, la grosse différence c’est que nous sommes des amateurs et qu’il ne faut pas l’oublier.

Merci à Rapha Cycling Club pour l’invitation et ASO pour l’organisation millimétrée et le magnifique parcours.
#ridesafe

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